Ombre, lumière, récit ou action sociale et usage de la photographie


Ces trois mots guident le travail et la réflexion autour de l'action sociale et de l'usage de la Ces trois mots guident le travail et la réflexion autour de l'action sociale et de l'usage de la photographie (et particulièrement le travail de Christophe Pittet) (1).

La lumière est la condition absolument nécessaire pour faire une photographie. C'est aussi métaphoriquement la recherche de tout travail social : faciliter la réalisation de la personne ou du groupe, aider à la reconstruction de situations valorisées et valorisantes, soutenir la réinsertion d'individus dans un contexte de vie. Retrouver quelques chemins en prise avec le monde.
L'ombre est celle de la camera obscura et celle du laboratoire. C'est la difficulté ressentie par tout un chacun, le poids de l'exploitation que peut produire une société, l'aliénation subie, ressentie, acceptée.
Le récit, est une relation (au sens de relater) orale ou écrite et cette relation est éminemment en rapport avec le processus photographique. Du regard que le photographe porte sur le réel au moment de la prise de vue au regard que le spectateur porte sur la photographie présentée. On passe ainsi par relation, par récit, d'un réel à un autre réel : c'est une des problématiques du travail social.

La photographie trouve ici toute sa force, ombre, lumière et récit parce que, à la différence de tous les autres modes d'expression et de création, elle est en rapport étroit, contiguë même avec le réel (2). La lumière vient tracer la pellicule. Celui qui fait une photographie est en prise avec le monde qu'il voit et qui l'entoure.
Christophe Pittet montre des photographies prises par des prisonnières, d'autres montrent des photographies de jeunes habitants des quartiers défavorisés, de personnes en réinsertion professionnelle, etc. Et les questions devant de tels travaux vont porter sur le contexte, les références, notamment photographiques, et le rapport qu'ils vont établir avec le regardant car ces images sont vues.
Souvent (toujours ?) le contexte saute au yeux (sic). Les images ne souffrent pas de fausses objectivité, elles vont radicalement vers beaucoup de subjectivité. Tant mieux ! Les images des femmes de la prison mettent en valeur immédiatement les notions de temps et d'espace. Évidemment ! la peine se mesure aux jours du calendrier et au quatre murs à ouvrir. Le processus photographique se mesure au temps qui passe et est passé ; au champ du regard et au hors champ de l'imaginaire.
Il est aussi frappant de voir combien les références sont présentent. Références à des connaissances acquises (souvent inconsciemment) dans l'immense bouillon d'images : publicité, presse, livres, album de famille, arts visuels, etc.. Viviana photographie des châteaux comme des cartes postales mais aussi comme une tentative de réaliser une œuvre dont le sujet lui-même est une œuvre. Ilirjana montre et monte des images multiples qui font penser aux travaux d'Andy Warhol et de Robert Frank. Elle construit son récit.
Enfin une des grandes valeurs de ces images viennent de ce qu'elles sont montrées au public.
(Même le public restreint de l'entourage est un public, le photographe lui-même constitue son public. "C'est moi qui ait fait cela" s'interroge et s'étonne un jeune en regardant ses premières photographies). Montrer ses images est d'ailleurs la condition ultime pour qu'il y ait photographie.
Les photographies de Viviana, Sabina, Mejreme, Ilirjana renvoient à des trajectoires, les leurs bien sûr mais surtout les miennes, moi le regardant. Cette mise à l'épreuve donne à creuser et creuser encore ce qu'il y a d'humanité dans le monde (ce qu'il reste aujourd'hui d'humanité ?).

(1) Ici l'usage de la photographie retenu est bien dans la situation où un animateur, un travailleur social voir un artiste va travailler avec un public en lui faisant pratiquer la photographie. Et non pas celle d'un photographe venant photographier des gens ou la situation où sont montré des images produites à l'extérieur du groupe.
(2) À la fois technique (simple, il suffit d'appuyer sur un bouton !), industrie (complexe, construction de l'appareil, techniques physico-chimiques du laboratoire), outil d'enregistrement (l'action de la lumière sur la pellicule), moyen d'expression (il faut un photographe qui ait une intention), art (une photo, c'est beaucoup de manipulation ! et une production donnée à voir avec ses formes particulières déterminées par les choix du photographe), la photographie est un outil particulièrement riche d'utilisation pour un travailleur social qui peut entrer dans le processus par diverses approches.

Jean-Bernard Mazens
Photographe, Conseiller technique et pédagogique en photographie
Ministère de la jeunesse et des sports pour la région Rhône-Alpes

Copyright Christophe Pittet - Last update: 01.03.2010